Au fil de "Second Tour", disque de chansons militant aussi glaçant que brillant, Florent Marchet et Arnaud Cathrine plongent dans la France rance post-attentats tentée par l’idéologie d’extrême droite
"Faudrait pouvoir se barrer ou balancer un pavé/Vois comme on nous prend de haut, comme on se sent de trop […]/Tu peux t’attendre au pire, les attentats, les martyrs". Au cœur d’une France rance, à l’ère post-attentats parisiens (Charlie Hebdo et 13 novembre), ce Second Tour (PIAS) de Frère Animal, qui débute par la très pop mais très sombre "Vis ma vie", brosse le portrait d’un pays tenté par l’extrémisme politique à travers des destins singuliers.
Roman musical militant cosigné Florent Marchet (chanteur et compositeur féru d’albums pop romancés) et Arnaud Cathrine (écrivain) qui fait suite à une première plongée dans le monde cynique de l’entreprise en 2008, Second Tour chronique en 23 chapitres la dérive de Thibaut, jeune chômeur sortant de prison en quête de réinsertion qui finit par dépit par embrasser les idées du parti identitaire Bloc national à la veille de l’élection présidentielle.
Tourbillon noir
Le tandem Marchet (Thibaut) et Cathrine (son frère gay Renaud), épaulé à nouveau par Valérie Leulliot (Autour de Lucie, l’ex-petite amie Julie) et Nicolas Martel (Las Ondas Marteles, l’ex-camarade de classe Benjamin), se voit rejoint ici par deux interprètes de choix, François Morel (le narrateur) et Bernard Lavilliers (Jean, père de Thibaut). Cette galerie de personnages gravitant autour de Thibaut nous embarque dans une intrigue parlée-chantée tourbillonnante pétrie de désespoirs, d’incompréhensions, de violences physique et morale.
Entre chansons pop, dialogues crus et intermèdes contextuels, la dramaturgie alterne habilement suspense et rebondissement entre ressentiments et appels à la raison, bruits de bottes et échos humanistes. Si le duel initial entre le jeune néofacho et son frère gay tient quelque peu du cliché, l’affinement au fil de la narration des profils psychologiques permet d’éviter l’écueil manichéiste.
Précision chirurgicale
Grâce à un rythme quasi infernal, la troupe de Frère Animal nous tient en haleine une heure durant, qu’elle s’aventure dans le vade-mecum idéologique du parfait petit militant d’extrême droite (les ironiques "Une chanson française", "Les consignes" et "Le marché") ou dans le registre des confrontations de points de vue entre amis ou en famille ("Un dernier" ou "Je te dois tout"). A la fois glaçant sur le fond mais parfois burlesque sur la forme ("On pense au Maréchal/On vote Bloc national!"), cet album-fleuve tend un judicieux miroir à cette jeunesse désemparée cédant de plus en plus volontiers aux sirènes démagogiques de l’idéologie extrémiste.
Fable réaliste sans morale dont la précision chirurgicale du champ lexical comme psychologique fait mouche, Second Tour offre avec autant d’intensité que d’ingéniosité une diabolique résonance politique aux maux de la France contemporaine.
Cet article a aussi été publié dans le quotidien suisse Le Temps du 3 décembre 2016.